Essai: Alpine Renault A110 Groupe 4
Par Bruno Sacré, le dimanche 05 juin 2011 - ESSAIS AUTO - Lien permanent - 23919 lectures
Photos et caméra embarquée: Garage Passion
Je garde un excellent souvenir de la toute première Alpine que j’ai pu conduire. Il s’agissait d’une A110 1600SC munie du kit compétition Groupe 3 développé pour les clients qui couraient avec cette auto à l’époque. J’en avais fait l’essai pour le compte de la revue Le Carnet Retro. C’était en 1999. Et que dire de la seconde: la Groupe 4 de Jean-Pol Hontoir m’avait amené au 7ème ciel deux ans plus tard.
C’est donc transi comme un collégien qui va à un rencard avec Monica Belluci que je me suis rendu à mon troisième rendez-vous avec une Alpine... Rencontrer une Alpine et flirter un peu avec elle est d’ailleurs toujours un moment privilégié dans la vie d’un essayeur passionné de rallye depuis son enfance. Et je n’ai pas été déçu !
La petite voiture française est là, sur le parking, superbe dans sa robe bleue un peu craquelée. Petite, légère mais ronde ! Rien d’autre à dire que ces petits adjectifs un peu laconiques. L’Alpine A110 est une auto de légende, une icône du sport automobile. Et depuis toujours je l’admire. Que puis-je ajouter ? Je vous vois sourire, vous devez vous dire qu’on commence déjà avec une objectivité toute relative mais bon, quand le charme opère…
Avant de prendre le volant de l’engin, je m’en voudrais d’omettre un petit clin d’œil à mon ami Pierre Straumann que je rencontre sur ses terres lorsque je dispute la Course de côte des Trois Epis à Turckheim. Nous aurons un fameux sujet de conversation la prochaine fois que nous nous verrons, car il a eu le bonheur de posséder cette Alpine maintenant devenue propriété d'Hervé Dykmans de Garage Passion qui a la gentillesse de m’en confier le volant pour ce long et passionnant essai. Le monde est petit !
Notre berlinette a été montée par le service compétition de l’usine le 24 novembre 1969. Cette groupe 4 est donc une caisse légère munie d’une boite 364 et du réservoir central de type aviation avec bouchon latéral Lebozec. Elle est achetée par Dany Thourot qui la pilote au Lyon Charbonnières, au Neige et Glace, à la Ronde Cévenolle, au Rallye de Lorraine, à la Ronde des Vosges et à la Coupe des Alpes en 1971 avant de la revendre en mars 1973 à Pierre Strauman qui la transforme en 1860 cm³ et lui greffe les ailes pagodes.
Ensuite, notre groupe 4 change de propriétaire et passe de main en main pendant trois décennies. Elle va participer à un bon nombre d’épreuves (plus de 40 !) mais elle ne subira heureusement que peu de modifications et surtout ne sera pas détruite. Elle conserve aujourd’hui toute son âme ce qui la rend exclusive pour le plus grand bonheur d'Hervé, son actuel propriétaire.
Il n'est pas évident de « pondre » cet article puisque tout a été dit et écrit sur les vertus de l’Alpine Renault. Et souvent de façon fort bien faite. On pourrait d'ailleurs écrire un livre sur l’ergonomie particulière, les odeurs de polyester qui se mêlent à l’essence et tant de choses qui font la particularité des Alpine. Et puis il y a Wikipédia à qui je préfère la plume de José Rosinski… Je vais donc faire fi de l’histoire des Alpine ou des stéréotypes faciles. Je vais juste me contenter d'essayer de vous faire vivre cet essai avec passion.
Commençons par une évidence: tout le monde ou presque sait que le pilote d’une A110 doit être d’abord un véritable contorsionniste. Se laisser glisser dans le baquet ne se fait pas facilement quand on dépasse la taille d’un Ragnotti ou d’un Andruet. Mais il y a un mode d’emploi comme l’explique avec humour Pierre Straumann (même taille que moi, soit un bon 1,8 m) qui a couru avec cette voiture: « Poser le pied droit devant le siège, descendre sur la jambe gauche en pliant le genou, avancer le pied droit vers l'accélérateur. Avant d'être au fond, entrer la jambe gauche. Enfin, déplier les deux jambes tout en glissant les fesses au fond du baquet. » Ouf, j’y suis ! Heu… Et pour fermer la portière ? Et bien, il faut agripper le petit rebord de la garniture dessinée « exprès pour ». Interrupteur pour la pompe à essence et… contact. Enfin presque, car la tête dans le toit et le harnais bouclé, je n’arrive plus à tourner la clé de contact pour mettre le moteur en marche. Nouvelle séance de gym. Le 4 cylindres en ligne monté longitudinalement à l’arrière s’ébroue et distille ses rôts avec bonne humeur. Les vibrations trahissent le montage semi-rigide du groupe propulseur. C’est une groupe 4, ne l’oublions pas. L’embrayage est court et ferme mais le moteur est souple. Je m’extirpe donc du zoning commercial où nous avions rendez-vous avec facilité
Les vitesses passent bien. Le débattement est court et relativement précis sauf cette satanée 5ème qu’il faut aller chercher sur les genoux du passager. On note la grille avec sa pièce métallique qui condamne la marche arrière. Il faut la soulever pour l’enclencher. Amusant. Le tableau de bord est complet mais pas vraiment précis à l’utilisation car peu lisible et sujet aux vibrations. Pas grave, j’ai largement de quoi m’occuper avec les virages qui nous sautent à la figure. Ce qui est drôle, c’est la taille imposante des compteurs qui dénotent par rapport à la taille étriquée de l’habitacle.
Après une dizaine de kilomètres parcourus sur une insipide et rectiligne nationale, j’attaque une petite route sinueuse et bosselée à souhait. Tout de suite, la « magie Alpine » opère. L’A110 est faite précisément pour s’encanailler sur ce genre de revêtement torturé et piégeur. Le moteur Ferry qui fait passer la cylindrée de l’Alpine de 1600 à 1860 cm³ est généreux, rageur et coupleux. Un régal. Il est bien aidé dans sa tâche par une boite à 5 rapports à l’étagement parfait. La relance est parfaite en toutes circonstances, l’aiguille du compte-tours monte allégrement vers les sommets. Avec un peu plus de 700 kg à propulser, les 160 ch sont bien suffisants pour donner à notre Alpine des performances plus qu’appréciables.
On se sent de suite en osmose avec l’auto. Sa légèreté, sa maniabilité, sa précision sont fantastiques. Je hausse encore le rythme. Quelle machine à sensations ! Le cul plus bas que les pieds, le pilote ressent absolument tout ce qui se passe. Et quelle tenue de route ! Je suis « scotché » au propre comme au figuré. Et pourtant, je ne vais pas me priver de la provoquer, cette A110 dont la motricité et le comportement super équilibré en font une redoutable bête de course qui va s’avérer efficace sur chaque portion de route de notre essai. Nous passerons ainsi des graviers au rapide et bosselé. Nous tâterons du tronçon forestier aux ornières vicieuses et sans concessions et reviendrons sur un terrain propice aux changements d’asphalte surprenants… Elle va se jouer de tout et sans rechigner... Je comprends d’ailleurs qu’en 1970, il fallait compter sur cette auto diabolique pour la victoire au scratch dans les rallyes les plus éprouvants.
Seul petit bémol: la perte d’adhérence - quand elle se produit - est particulièrement sèche et il faut alors avoir de bons réflexes. Si le sinueux permet au pilote de se faire plaisir, attention toutefois au (très) rapide. L’empattement très court ne facilite pas le passage en courbe à fond de 5ème. Quand à la tenue de cap sur une route bombée, alors, là… c’est rock n’roll ! Les lignes droites, ce n’est de toute façon pas sa tasse de thé. Mais je suis tenté de gommer cette tare anecdotique tant l’engin est enchanteur. Mais il fallait bien que je lui trouve l’un ou l’autre défaut non ?
Au milieu de cette matinée de rêve, je vivrai néanmoins deux petits soucis : un pied droit qui chausse du 44 et qui accroche parfois la pédale de gaz et le passage de 5ème en 4ème que je vais louper quelques fois. Mais quelle voiture ! J’ai piloté en force et en vrac à certains moments. J’ai sué dans le baquet, j’ai bien mouillé ma chemise. Une Alpine c’est physique. Mais surtout… j’ai été pleinement heureux.
Au final et en guise de conclusion, je dirais qu'on ait vécu à bord l’ivresse du chrono dans une spéciale ou qu’on en ait juste fait un objet de désir, l’Alpine A110 est un cas à part. Quoiqu’on en pense en bien ou en mal, elle ne laisse jamais indifférent et c’est là l’apanage des vraies divas. Quand à moi, en descendant de ce formidable jouet, je n’ai qu’un seul regret: celui de n’être pas né plus tôt et de ne pas avoir pris le départ d’un rallye au volant d’une A110 ! N’oublions pas qu’il s’agit d’une Championne du monde et qu’elle n’a pas été par hasard victorieuse du Monte Carlo en 71 et championne de la discipline en 73.
Un grand merci à Hervé pour sa disponibilité et sa confiance.
Quelques détails techniquesMoteur: 1.860 cm³ Ferry. Environ 160 ch. 4 cylindres en ligne disposé longitudinalement à l’arrière - Refroidissement par eau - 2 soupapes par cylindre - Bloc et culasse en alliage léger - Boite: 5 rapports (type montagne) avec autobloquant - Poids : aux alentours de 750 kg - Pneus : Michelin TB15. 7 pouces à l’avant, 9 pouces à l’arrière.
Nous avons réalisé un court film à l'aide d'une caméra GoPro HD fixée sur l'arceau.
Mon ami Pierre Straumann a donc possédé cette Alpine et a eu le bonheur de la piloter. Voici son témoignage emprunt de nostalgie:
Après avoir goûté la compétition automobile en 1972 sur une Alpine A110 1300G (moteur Gordini) 1.255 cm³ de série, j'ai acheté cette petite merveille à Dany Thourot au printemps 1973. Il s'agissait d'une A110 groupe 4 compétition-client construite en 1970. Elle était équipée d'une caisse légère, d'un réservoir central, de triangles de suspension renforcés, des "gros" freins et de la "grosse" boite de vitesses. Le moteur était un 1.596 cm³ développant entre 150 et 160 ch. Le lendemain, j'ai chargé la voiture sur la remorque pour me rendre à Orbey où avait lieu une épreuve régionale en côte organisée par mon ASA. Pour la première fois de ma vie, j'ai eu ce sentiment étrange de me trouver aux commandes d'un véhicule qui me donnait l'impression d'aller plus vite que moi. Malgré une monte pneumatique inadaptée, j’ai remporté le classement scratch de cette épreuve. Excellent début ! Par la suite, j'ai acheté des jantes et des pneus et j'ai remporté la classe 1.600 du groupe 4 à toutes les épreuves auxquelles j'ai participé cette année-là.
En 1974, on a monté un différentiel autobloquant Hewland à galets. Le tarage d'origine devait se situer vers 80%. On a aussi installé des ailes plus large car les commissaires techniques me reprochaient souvent d'avoir les roues qui dépassaient de la carrosserie dans "certaines" positions… J'ai aussi acheté un train de jantes Gotti, les fameuses 073R en 7" et 9" pour le rallye et 4 jantes BBS en 8" et 10" pour monter des slicks en course de côte. Les suspensions ont conservé leurs réglages "rallyes", trop souples pour les gros clicks. Le moteur a été réalésé en 1.860 cm³ et préparé par Gérard Pourchet à Besançon. Ce moteur n'était pas très puissant, en tous cas, pas beaucoup plus que mon 1.600 de l'année précédente, mais il avait un gros couple. Avec l'adhérence fantastique générée par les gros slicks de 10" à l'arrière, les effets conjugués du couple et du gros autobloquant, la voiture était assez particulière à piloter. Notamment en virages serrés, il fallait absolument faire dériver le train arrière, faute de quoi, elle entrait dans un sous-virage systématique qui obligeait à freiner pour faire pivoter l'arrière. J'ai vendu cette voiture au printemps 1975 pour acheter une A110 1600SC Groupe 3, véhicule plus conforme à mes possibilités financières de l'époque. Grâce à Hervé Dykmans, j’ai pu en reprendre le volant plus de trente ans plus tard. Quel bonheur !
Article(s) dans la même catégorie: