On prenait le départ de Jambes, le parc fermé étant devant les bureaux de la Region Wallonne où je venais d’entrer 10 mois plus tôt. J’avais d’ailleurs bien frimé devant mes collègues féminines arrivant le matin en costard-cravatte avant de sortir le soir pour le départ en combinaison de cosmoclock.

Nous avions fait honneur à notre sens du burlesque au moment de monter sur le podium de départ. Un de nos amis avait rapidement collé un sticker sur l’auto alors que nous nous apprêtions à escalader ce dernier. Et stupeur, lorsque fendant la foule, nous vîmes arriver un Emir en djellaba, moustaches et lunettes noires brandissant un chèque en hurlant : "CHEIK ABDULL ! CHEIK ABDULL !". Nos potes s’étaient cotisés, avaient réalisé le lettrage Cheik Abdull et la mise en scène fut parfaitement orchestrée, laissant badauds du chapiteau et équipage complètement estomaqués.

Passé ce moment surréaliste, place aux choses sérieuses qui commençaient traditionnellement par la montée de la Citadelle. Une magnifique spéciale. Avant d’entamer les joyeusetés, nous avions fait le tour de la concurrence en 1600 Gr N. Trois Peugeot : une allemande, une anglaise et la nôtre. Un Anglais avec un nom formidable : Guichot de Fortis sur une Corolla et un Français sur une Visa GTI complétaient la dizaine d’engagés dans cette classe.

Les Allemands et les sujets de sa gracieuse Majesté rigolaient bien de notre petite rouge qui était la seule a ne pas être badgée PTS et vous l’aurez deviné, chaussées de pneus de commerce. Les sourires se firent encore plus béats à la mise en marche, notre pot d’origine n’émettant que des jappements face aux grognements féroces de leurs montures. La spéciale de la Citadelle effaça cependant les sourires narquois. Car, les cueillant à froid, nous leur avions volé une belle avance.

Nous prîmes alors le départ de la spéciale show de Mallonne où j’avais été victime trois ans plus tôt d’une violente sortie de route avec la Skoda. Mon cœur battant encore plus fort que d’habitude en souvenir de la cascade en machine tchèchène qui m'avait laissé la main perforée par l'essuie glace et un léger handicap.

Là, ce fut l’anglais De Fortis qui perdit le duel que le système « show » nous permit de vivre. D’ailleurs, le freinage à deux de front en bas de la descente de Mallonne avant l’épingle aura probablement marqué les esprits, les spectateurs et commissaires s’enfuyant comme des dératés à notre arrivée. Une fois encore, les deux Peugeot « ennemies » furent larguées au grand dam de leurs équipages respectifs.

La nuit tombée, notre 205 GTI fut encore plus à la fête. Une frayeur néanmoins avec une erreur de mon copilote. La boucle faisant un huit passant par Jambes sans le podium, Alain se trompa et me fit placer l’auto dans le rang jusqu’à ce qu’il se rende compte de sa bévue. Nous avions pris du retard sur le routier et au passage à niveau de Dave, nous dûmes jouer les frères Duke en General Lee en sautant alors que les barrières s’abaissaient. A l’arrivée au CH, la Peugeot faillit emporter avec elle, table, chaises et commissaires. Néanmoins, nous pointâmes dans la minute !

Dans la spéciale show suivante, la seconde de cette nuit, un groupe de spectateurs entièrement acquis à notre cause était littéralement survoltés à chacun de nos passages. Nous les entendions crier malgré le bruit et les casques ! Lorsque nous rentrâmes au parc fermé de la caserne militaire de Jambes vers 4 heures du matin, nous étions seconds de classe et mon père et nos épouses respectives dormaient bien au chaud dans la voiture de papa dont le moteur tournait.

Le lendemain, comme souvent en Belgique, la météo offrait un autre visage. Il tombait des cordes ! Vers la 3ème ou 4ème spéciale, à Wartet, un équipage d’Allemands sortit très violemment de la route percutant une façade avant de tomber trois mètres plus bas. L’un des deux était mort sur le coup, le second s’en sortit tétraplégique. Après l’accident dont nous avions été témoins un mois plus tôt où deux gamins étaient morts dans leur Samba, cela faisait un peu beaucoup. Je fus un peu ébranlé et cela se fit sentir dans les chronos suivants.

Du côté de Shaltin, je perdis ma ligne d’échappement en fin de spéciale après une sortie heureusement sans gravité dans les champs traînant avec moi, piquets de clôture et fils barbelés. A cette époque, les sonomètres fleurissaient au départ de chaque boucle et je fus obligé d’attendre le passage du dernier concurrent pour récupérer ma ligne. Au passage, je blessai mon copilote d’un coup de portière à la Laurel et Hardy dans des circonstances complèetement abracadabrantes dont la narration me ferait perdre tout crédit...

Enfin il fallut du temps à l’assistance suivante pour réparer. Un tampon Gex fixé avec un collier de serrage me permit de passer, discrètement et sur un filet de gaz, le podium sans éveiller l’attention des contrôleurs. Parenthèse sur l’assistance. 4 mécanos, un Susuki 413 (Santana), une galerie de toit et une remorque couverte…Un groupe électrogène, quelques pièces périphériques, 4 roues sur l’auto et 2 roues de rechange constituaient mon trésor de guerre.

Dans la spéciale de Coutisse, l’autre partie de mon jardin, longue de plus de trente kilomètres, je pus refaire un peu de mon retard, mais insuffisamment, les saloperies de racing pluie prenant l’ascendant sur mes gommes de show room Peugeot dans les autres spéciales.
La nuit tomba et les averses succédèrent aux éclaircies rendant le terrain plus que piègeux. Les écarts s’étaient stabilisés et il n’y avait plus rien d’autre à faire que de finir 5ème de classe et 25ème au général.

Mes teutons et britons reprirent leur bien finissant respectivement 3ème et 4ème de classe mais me félicitèrent néanmoins en comprenant avec quelle brouette nous avions fait nos temps. Pour fêter notre arrivée, nous nous offrîmes le dimanche soir un restaurant gastronomique.

Il me restait encore deux courses à disputer avec la 205…