Coup d'oeil dans le rétro
Par Bruno Sacré, le samedi 15 mars 2008 - NEWS - Lien permanent - 5156 lectures
L'an de grâce 2008 et ses autos devenues politiquement incorrectes. Je suis assis devant un Scotch dans mon bistrot préféré et je refais le monde avec un ami que je n’avais pas revu depuis des années… Et sa question à un certain moment : "C’est en quelle année que tu as disputé ton premier rallye national, déjà ? "
Je démarre au quart de tour. Pour mes courses, ma mémoire est encore intacte, pour le reste… j’ai des trous. Parfois c’est mieux…
1983. Avril 1983.
Déjà, le début avait plutôt commencé de façon burlesque. Nous étions allés à Andenne avec Pierre Bertrand, mon copilote, retirer le road book par une froide soirée de mars. Au bar de l’hôtel, un grand échalas buvait une bière et je l’avais sauvagement bousculé en me retournant. Le gars était presque tombé de son tabouret et je m’étais confondu en excuses. Une fois dehors, Pierre m’avait demandé si je le connaissais. J’avais répondu par la négative. Mon copilote avait éclaté de rire ! C’est Patrick Snijers ! Heu…
Et nous voilà deux semaines plus tard. Le week-end du 9 et 10 avril pour être précis.
Six heures du matin. Le réveil m’a sortis d’un mauvais sommeil. A plus de minuit, Sterckval, mon mécano était encore occupé à régler l’allumage et les carburateurs de cette satanée Skoda. Une bonne douche et un café noir achèvent de me réveiller. La maison est en effervescence ! Devant, le Dodge Ramcharger et la remorque d’assistance sont prêts et mes mécanos en rouge ont fière allure !!
Neuf heures, je passe au contrôle technique. J’ai peur pour l’arceau fait maison. Mais ça passe : la Skoda est conforme à ce tout jeune Groupe A dans lequel nous l’avons engagée.
Dix heures, je bois un pot avec les concurrents. Un grand blond au large sourire s’assied en face de moi.
- C’est ton premier ?
- Oui, m’sieur Colsoul.
- Appelle moi Guy. T’inquiète pas, ça va aller !
Je voudrais bien qu’il ait raison, moi, m’sieur Guy… J’ai les jambes qui tremblent, le cœur qui cogne, les mains moites…
Treize heures et dix-sept minutes. Je passe la Skoda sur le podium de départ sur la Place des Tilleuls. Y a des copains de classe qui n’en croient pas leurs yeux ! Le speaker nous annonce : "La Skoda des bébés du rallye ! 36 ans à eux deux ! Seront-ils à l’arrivée ? "
Première spéciale. Je souffle comme un bœuf. Pierre a connecté l’interphone: "Allo, tu m'ent…. Clic ! " Plus d’interphone ! Le commissaire égrène les secondes. Mon cœur va sortir de ma poitrine !!!! Go !
J’arrache les 60 percherons de la Skoda et je pilote du mieux que je peux. L’autre à côté hurle ses notes… Quelques minutes plus tard, on passe le flying finish ! On est toujours vivants !
A l’assistance, je demande qu’on nous mette des « neige » pour la seconde qui se déroule avec un beau pourcentage de terre. Les potes s’exécutent mais pas assez rapidement, on se prend une pénalité pour retard au départ… Et on s’est trompé de spéciale !! Y pas de terre dans celle-ci !! Et nous voilà sur l’étape « show » montés en Pirelli neige !!
Troisième spéciale. Coupure d’allumage, la Skoda s’immobilise par deux fois.
Enfin, nous arrivons dans Haillot-Coutisse, c’est-à-dire dans la spéciale qui traverse mon village et passe à 100m de ma maison. Je suis surexcité et je signe un bon temps, mais malheureusement à l'assistance, mes mécanos constatent que l’embrayage, les amortisseurs et le démarreur sont HS ! Il n’y aura plus de hauts faits d’armes dont me vanter ! En effet, le reste du rallye va se résumer à une longue bagarre contre l’abandon pendant trois longues boucles !
A la sortie de l’avant-dernière spéciale, l’auto cale puis refuse de repartir. Impossible continuer… Les mécanos poussent mais rien n’y fait ! Surgit mon paternel, véritablement déchaîné lui aussi. Il colle le pare-choc de sa Ford Granada V6 contre le cul de la Skoda et nous pousse sur plus d’un kilomètre sur la nationale. Enfin, le moteur de la 130L s’ébroue et nous pointons dans la seconde pour le départ de la dernière étape spéciale de ce rallye.
Il pleut… j’ai plus d ‘essuie glaces. Il fait nuit… j’ai plus de phares ! Je termine la tête par la portière, aidé par les lampes torches des commissaires qui balisent ma route. ENFIN !! Je me laisse couler sur Andenne, la Granada devant et le Ramcharger derrière. Je suis 35ème au général, 4ème de classe et… bon dernier !!
Qu’importe, j’ai 18 ans et la vie devant moi ! CHAMPAGNE !!
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