Une fois descendu du bus, j'ai traversé le parking à côté du portail de Vedano et j'ai grimpé (oui, quand on est âgé de 17 ans on sait encore grimper) en m'accrochant au petit muret qui soutient le guard-rail pour me hisser sur l'ancien anneau de vitesse.

Après avoir fait cet effort accompagné de mon sac sponsorisé Marlboro qui contient ma caméra Super 8, 3 cartouches de pellicule, 3 sandwiches et 2 boites de Coca, j'ai parcouru un tronçon de l'anneau et à travers une fente du grillage je me suis introduit dans l'enceinte du circuit le plus ancien d'Italie.

Mes modestes moyens d'étudiant ne me permettent pas de payer le ticket pour me rendre à l'interieur du périmètre de la piste. Il faut dire que dans ces années 70-80, plus de la moitié du public présent à Monza n'a jamais payé ce ticket. Et pourtant, on n'est pas au Portugal...

Les 1000 km de Monza c'est la compétition la plus importante après le GP de F1 de toute la saison de l'autodromo. Je suis tellement passionné que ni la pluie, ni la grêle, ni la pire des neiges n’auraient pu me tenir loin d'ici. Je n'aurais raté pour rien au monde ces 1000 km, sauf peut-être pour 10 millions de Lires.

Maintenant je suis là, assis sur la grande tribune en face des stands et la course a démarré depuis une bonne demi-heure. Les Porsche 935, Beta Montecarlo Turbo, ainsi que les Osella, Lola ou Chevron soulèvent d’énormes nuages d'eau qui empêchent la vue sur une centaine de mètres derrière la projection de leurs pneus tandis que le pluie que je souhaiterai voir s’arrêter continue de tomber de plus belle comme si quelqu'un avait ouvert tous les robinets du ciel en même temps.

Je viens de faire la connaissance d'un jeune assis à quelques mètres de moi et on est en train de papoter. Les sujets de notre conversation sont naturellement les voitures, les pilotes et les courses automobiles. Ce jeune-là est autant passionné que moi. Et il m’explique que lors d’un récent voyage en Roumanie il a vu le régime communiste, en cette année 1981, interdire des choses qui chez nous sont tout à fait normales ou ordinaires. Par exemple, il me dit à propos du dernier grand prix de Formule 1 que la télé n'a diffusé qu'une photo d'archive en annonçant que Reutemann avait remporté la course. Difficile à croire pour ceux qui comme moi n'ont jamais traversé le rideau de fer.

Le gars avec qui je discute s'est rendu ici en voiture, une petite Fiat 126, me propose de me rendre avec lui dans d'autres endroits de la piste. Il a même un parapluie, donc ma caméra sera à l'abri et j'aurai le plaisir de filmer ces 1000 km de Monza dans différents virages.

On se remplit les yeux de la vue de ces belles carrosseries ainsi que les oreilles du son de ces moteurs formidables.Dérapages, accélérations, tête à queue, on se régale à merveille avec le spectacle que nous donnent les participants.

C'est une époque bénie pour des jeunes qui comme nous ne rêvent que de faire un jour de la compétition. Une course de 6 heures c'est long et pendant qu'on se déplace d'un virage à l'autre, on a le temps de discuter d'un tas de sujets comme les styles de conduite des pilotes à la une ces années là ou encore des moteurs turbo squi ont en train de changer la technique du sport qu'on aime.

En cette saison 1981 les turbos en F1 ne sont pas encore nombreux et le garçon se montre sceptique sur l'efficacité de cet engin dans la formule reine des courses automobile.

Lorsque nous exprimons chacun notre point de vue, il me dit une phrase que je ne pourrais jamais oublier: " Je croirai au turbo en Formule 1 quand j'en verrai un avec mes yeux remporter le GP de Monte Carlo." Il me dit ça avec le ton de quelqu'un qui est convaincu que cet événement-là est encore très loin d'arriver. Moi, je suis d'un avis un peu different mais je laisse tomber car je n'ai pas envie de me disputer avec celui qui m'a sauvé de la pluie pendant toute la journée.

De la chicane Good-Year à la Roggia, de Lesmo au Serraglio, jusqu'à la Ascari, et à la Parabolica pour terminer, il est 17h et la course s'achève. Une Porsche 935 l'a remportée. Mon ami d'un jour et moi prenont congé l’un de l’autre. Chacun va rentrer chez soi et nous ne nous reverrons jamais. Je le remercie pour le bon moment passé en sa compagnie et je prends la direction de la gare, pour prendre le train et refaire le trajet vers Bergamo.. Mais cette phrase-là, à propos des turbos en F1, ne veut pas me quitter.

Comme c'est drôle la vie, parfois. Juste un mois après cette journée de pluie, mon idole Gilles Villeneuve remportera le GP de Monte Carlo au volant de la Ferrari 126Ck Turbo en démontrant par là que le moment de l’égémonie du moteur Turbo est arrivée et qu’elle va changer, en peu de temps, tout l'univers de la course automobile.

On devrait toujours douter un peu de nos certitudes car on ne sait jamais ce que réserve la vie.