J'avais loué quelques mois plus tôt une Opel Kadett Gsi Groupe N à l'équipe Locasport de Fexhe-Slins en région liégeoise. J'avais pu découvrir une auto neuve, une équipe aussi compétente que conviviale et c'est en pleine confiance que j'avais donc réservé la Kadett pour le Condroz. Après une séance d'essai, je m'étais envolé pour deux semaines de vacances à l'île de Kos. J'étais juste revenu pour retrouver Alain, mon copi-pote au contrôle technique du vendredi soir.

Avant mes vacances, nous avions fait de bonnes reconnaissances alternant Audi 80 1.9 D, Suzuki Samourai 413 long châssis, Jeep Cherokee 4.0i et Golf GTI. On avait d’ailleurs bien rigolé un dimanche froid et sec en roulant décapoté avec la Suzuki, attaquant dans les terres comme des sagouins au milieu de la meute de mulets Sierra Cosworth. Nous avions été très sages aussi, ne forçant qu’une seule fois sur la Grappa pour cause de brouillard, avec à la clé une épique sortie de route qui se termina à 50 cm d’une pompe à essence, avec Alain au volant de sa Golf GTI et ne craignant rien puisque, pour reprendre ses mots: « J’ai pas peur, j’ai un pilote à côté !».

(extrait de mon « journal de bord »)

Numéro de départ de notre Kadett : le 108. Le temps est aux averses lorsque nous nous élançons dans la spéciale de Bas-Oha vers 12h00. Je comprends immédiatement mon erreur : il aurait fallu des racing ! Mais je m’en sors pas trop mal. A Marneffe, j’attaque très fort passant le dernier rapport dans la terre et nous signons un excellent temps. Nous sommes plus de 30 concurrents dans notre catégorie (Gr. N, 2.0 litres) et nous sommes 9èmes après une boucle.

La spéciale de Goesnes où je croyais être à la fête est terriblement glissante et les portions terres sont éprouvantes. Toujours ces foutus pneus ! Je suis en mal de motricité partout. A Villers, je fais un super passage sous le pont de l’autoroute avec une trajectoire très tendue et signe ainsi un bon temps. Je suis content car j'ai pris sur moi puisque je déteste cette spéciale où j’ai vu mourir des gamins l'an dernier.

La nuit est maintenant tombée et la rampe de Carello installée sur le capot de la Kadett est impeccable d’efficacité. Dans l’avant dernière spéciale (Wanzoul), malgré un tête-à-queue, je me rapproche encore un peu des leaders qui commencent à assurer pour rentrer sur Huy. Je pointe à la troisième place de classe. Les deux premiers me paraissent durs à passer mais je ne sais pas ce que me réserve la suite…

Second jour. Alain a logé à la maison et devant l’omelette et le café, nous prenons la décision de demander à Locasport des racing. Pris de court, ils ne savent me fournir que deux pneumatiques de chaque type. On les met évidemment à l'avant. Quand à l'arrière, et bien on fera avec !

A la sortie du parc fermé, je dois néanmoins disputer la première spéciale de la journée en pneus conventionnels mais je suis bien réveillé. Fidèle à ma parole pour honorer un pari, je me suis rasé, semant un peu de confusion chez les commissaires et officiels du rallye qui m'ont vu barbu la veille.

Je m’accommode de ma monte pneumatique assez bizarre et je peux me bagarrer avec les premiers de la classe. J’ai un bon feeling et Alain m’annonce les notes comme un pro. De spéciale en spéciale, on voit d'ailleurs de plus en plus de bras de spectateurs qui se lèvent et des gens qui nous encouragent au départ des spéciales. Nous sommes toujours troisièmes, l'écart avec les deux premiers semble se stabiliser malgré mes efforts.

Malheureusement, je commence à me déconcentrer et je commets mes premières erreurs. Je pars dans Ben-Ahin en slicks à l’avant et, surpris par une grosse averse, je fais un tête-à-queue. Dans Marneffe, je fais un tout-droit qui me coûte encore des secondes. Mais Wanzoul et Villers, je les dispute avec panache, refaisant mon retard en partie. Mais c'est sans compter sur ceux qui cavalent derrière nous et me voilà désormais 5ème des Groupe N 2.0 litres.

Au départ de l'ultime boucle, le patron de LocaSport et mon copilote me demandent d'assurer et de rentrer une auto intacte. De toute façon, les pneus sont à l'agonie et l'écart semble difficile à résorber.

Enfin, au départ de la dernière spéciale, Ben-Ahin. Nous avons un fou-rire et je décide de partir sans notes pour qu’Alain se fasse plaisir en faisant de grands signes aux nombreux supporters que nous avons. Au final, nous finissons 47èmes au général et 5ème de classe.

Bref, on sort de l'auto et les potes sont là... Les vieux potes fidèles et aussi quelques supporters inconnus venus nous acclamer, contents de nos passages "propulsionnaires" avec ma traction AV et qui se joignent à nous. A plus de vingt, on prend d'assaut la Brasserie du Théâtre.
- Chope, Bruno ? me lance un cador.
- Cognac !
Et nous voilà partis, mon copi-pote Alain et moi, au Cognac, suivant avec courage les nombreuses rafales de jus de Houblon.
A un moment, un gars lance:
- T'es content Alain ?
Et voilà mon copi-pote qui se met à chialer à gros bouillons. Depuis les années qu'il en rêvait de ce Condroz... Et de le voir si ému, v'là que j'en écrase une aussi ! Et que bon nombre de nos potes se mettent à mouiller des mirettes également.

Le patron croit d'ailleurs qu'on a abandonné...
- Mais non, Patrick, remets donc une giclée !

Il fait tout noir sur l'avenue Delchambre. Et Alain et moi, on se soutient mutuellement, passant d'une rangée d'arbres à l'autre en chantant «Que jeûûû t'aimmmmeee ! Que jêuû t'aimmmmeee !» Alain s'arrêtant pour embrasser la Kadett qui est sur la remorque, moi embrassant comme un Cosaque les mécanos amusés, les épouses marchant quelques pas derrière, gênées de ces deux cosmoclocks qui braillent dans Huy.

Le lendemain, nous arrivons à la remise des prix, la tête fracassée mais heureux ! En costard-cravatte, on se l’était promis.